mardi 2 juillet 2013

Affamer la pieuvre financière

J. Bradford DeLong - Le secteur financier des États-Unis est-il en train de rendre exsangue l’économie réelle ?

BERKELEY – L’article mémorable du journaliste Matt Taibbi en 2009 décrivant Goldman Sachs comme « un gigantesque calmar vampire collé au visage de l’humanité, ne manquant pas d’étirer ses tentacules sur tout ce qui a odeur d’argent » marque encore les esprits, et pour cause.

En 2011, je faisais remarquer que le secteur de la finance et de l’assurance aux États-Unis comptait pour 2,8 % du PIB en 1950 par rapport à 8,4 % du PIB trois ans après la pire crise financière en presque 80 ans. « Si les États-Unis ont vraiment profité de ces… 750 $ milliards supplémentaires détournés annuellement des secteurs qui paient des gens qui participent directement à la fabrication de biens utiles et à la prestation de services utiles, cela paraîtrait dans les statistiques économiques ».

Mon argument était qu’un tel détournement massif de ressources « du secteur des biens et services prêts à être utilisés dans l’année n’était une bonne affaire que si la croissance économique globale gagnait 0,3 % par an – ou 6 % par génération de 25 ans ». En d’autres termes, le transfert de ressources n’est avantageux que si collectivement il amène une prime substantielle, ce que les financiers appellent le coefficient « alpha ».

Ce fut loin d’être le cas, aussi j’ai demandé pourquoi tant de talents et de projets financiers n’avaient pas produit de « dividendes économiques visibles ». La raison, ai-je proposé, était « qu’il y a deux méthodes viables pour gagner de l’argent en finance : trouver des gens qui sont prêts à prendre des risques et les apparier avec ceux qui ont encore la capacité d’en prendre, ou trouver des personnes avec de tels risques et des personnes mal avisées, mais qui disposent de capitaux ».

2 % du PIB des États-Unis a été gaspillé dans l’hypertrophie inutile du secteur financier

Au cours de la dernière année et demie, à la suite de l’évaluation de Thomas Philippon et Ariell Reshef que 2 % du PIB des États-Unis a été gaspillé dans l’hypertrophie inutile du secteur financier, les preuves se sont accumulées que le système financier des États-Unis est moins une méthode de partage efficace des risques qu’un stratagème pour détrousser les nantis de leur patrimoine comme à Las Vegas, mais sans le clinquant.

Ce point de vue n’a rien de partisan. Bruce Bartlett, le haut fonctionnaire dans les administrations de Reagan et de George H. W. Bush, a récemment évoqué des études montrant une forte hausse dans la financiarisation de l’économie américaine. Il a renchéri en citant des travaux empiriques laissant entendre que l’intensification financière n’est utile que dans les premiers stades de développement économique. Il amène également des éléments de preuves qu’une corrélation négative existe entre l’intensité financière et le niveau d’investissement réel et a aussi fait appel aux conclusions dépeintes par Adair Turner, l’ancien haut responsable de la réglementation financière de la Grande-Bretagne : « Qu’aucune donnée tangible ne semble indiquer qu’une plus grande croissance ou stabilité soit issue d’une plus grande emprise et complexité du système financier du monde riche et développé au cours des 20 à 30 dernières années ».

Il y a quatre ans, durant la crise de 2008 à 2009, j’étais plutôt indécis à propos de la financiarisation. Il me semblait que, en effet, notre système financier moderne et évolué avait créé d’énormes risques macroéconomiques. Mais il m’apparaissait également à l’époque qu’un monde dépourvu d’une capacité de prise de risque avait plutôt besoin de la moindre incitation pour les acteurs économiques d’engager leurs fonds dans des investissements risqués à long terme.

Autrement dit, un tel monde avait besoin de la réalité ou de l’illusion que la finance pouvait, comme John Maynard Keynes l’expliquait, « défaire les forces obscures du temps et de l’ignorance qui voilent notre avenir ». La plupart des réformes qui nous prémuniraient des risques macroéconomiques limiteraient la capacité de la finance de persuader les gens à engager des fonds dans des investissements risqués à long terme, amoindrissant du même coup l’offre de financement prête à assumer de tels engagements.

Mais les évènements et les études depuis la crise ont démontré trois choses. Premièrement, que la finance moderne est simplement trop puissante politiquement pour que les législatures ou les agences réglementaires puissent restreindre sa capacité de créer des risques systémiques macroéconomiques. Parallèlement, elle n’a pas conservé sa capacité d’inciter les clients malgré les promesses d’une gestion financière sécuritaire et moderne.

Deuxièmement, les corrélations entre la croissance économique et l’intensification financière sur lesquelles je me suis basé ont en effet tendance à disparaître lorsque le système financier des pays se développe en dehors des banques, des virements bancaires électroniques et des marchés d’obligations pour adopter des instruments financiers encore plus complexes.

Finalement, les rendements sociaux de l’investissement en finance en tant que secteur d’avenir ont essentiellement disparu au cours de la génération. Un estimé sommaire que j’avais effectué en 2007 laisse croire que le monde a versé aux établissements financiers environ 800 milliards $ par année pour des opérations de fusion et d’acquisition qui ont rapporté plus ou moins 170 milliards $ de valeur économique réelle. Ce rapport coût-bénéfice plutôt modeste ne semble pas s’être amélioré.

Dès 2011, j’aurais dû relire la Théorie générale de Keynes un peu plus loin, là où il explique que « lorsque le développement du capital d’un pays devient un sous-produit des activités d’un casino, le travail risque d’être bâclé ». À ce stade, il est temps soit de faire preuve de pensée créative sur la façon dont les fonds peuvent être injectés dans l’économie réelle en évitant de faire appel à la finance moderne, grevée d’un coefficient alpha fortement négatif, soit de courir le risque de retrouver l’économie complètement exsangue.

mardi 25 juin 2013

Que veulent vraiment les banques centrales?

Michel Santi
 
La perspective d'un resserrement de la politique monétaire de la Réserve Fédérale américaine font grandir les inquiétudes sur l'évolution de celle des grandes banques centrales. L'occasion pour l'économiste Michel Santi de décrypter leur action de ces dernières années qui, selon lui, est toujours guidée par une obsession anti-inflationniste dévastatrice... 
 
Pourquoi préserver l'indépendance de banquiers centraux - personnages qui se retrouvent à des postes stratégiques sans bénéficier du suffrage populaire - si ceux-ci refusent de mettre leurs munitions à disposition de la croissance économique, sous le prétexte fallacieux de la lutte contre l'inflation ?
Le plein emploi ne profite pas aux banques centrales

Comme la politique monétaire d'une nation ainsi que le niveau de sa monnaie nationale doivent être mis au service de l'activité et de l'emploi, il est donc naturel que ce soient les dirigeants politiques - élus - qui en aient le contrôle. Pour des banques centrales dont l'objectif ultime est la maîtrise des pressions inflationnistes, reconnaissons-le, le plein emploi n'est certainement pas la panacée !

En effet, un taux de chômage bas incite souvent les travailleurs et les salariés à faire jouer la règle de l'offre et de la demande, c'est-à-dire à réclamer des augmentations de salaire. D'où une accélération de l'inflation. Les banques centrales ne le reconnaîtront jamais, mais voilà pourquoi elles ont naturellement tendance à remonter leur taux d'intérêt dès lors que la conjoncture s'améliore : afin de maintenir le chômage à un niveau tel que les salaires soient toujours sous contrôle.

Préserver le capital et les épargnants

Pourquoi ? D'une part afin de pouvoir afficher leur succès dans leur mission en termes de stabilité des prix. D'autre part pour préserver le capital et les épargnants, ayant, comme on le sait, horreur de l'inflation. Enfin pour ne pas trop entamer les profits des entreprises, et donc pour soutenir les marchés boursiers... Il est exclu ici de céder à la théorie du complot, ou de vouloir revenir aux enseignements de Ricardo et de Marx qui prétendaient que le système capitaliste réalise ses profits en maintenant en permanence une « armée de réserve de chômeurs ». Néanmoins, sous l'empire du politiquement correct qui tétanise sa banque centrale, c'est tout un continent - l'Europe - qui sombre sans réclamer son dû, ni prélever sa dîme, face à l'immense gâteau global que se partagent les continents asiatique et américain. Le chômage européen très élevé - et qui ira en s'aggravant - n'y changera rien. En effet, c'est l'obsession des déficits combinée à l'angoisse des expéditions punitives des marchés qui unissent les meilleurs adversaires - droite comme gauche - dans un même combat contre un ennemi commun, à savoir l'inflation ! Rien ne doit être entrepris pour l'attiser. Tout doit être sacrifié à l'aune de l'austérité.
A moins que l'attitude moralisatrice et scandalisée de la finance et des néolibéraux à l'encontre des déficits publics ne soit qu'une posture, qui leur fournit un prétexte pour démanteler les programmes sociaux et amaigrir davantage l'État ? En réalité, ce néolibéralisme - qui cherche activement la confrontation en n'ayant de cesse d'agiter l'épouvantail des déficits - se « fiche » éperdument des déficits. Son objectif ultime étant même l'aggravation de cette crise qui lui permettra dès lors d'appeler à un rétrécissement supplémentaire des pouvoirs publics.

Version moderne de la lutte des classes

Ne nous faisons à cet effet aucune illusion : les néolibéraux ont tout intérêt à attiser cette psychose des déficits publics, dont la montée en intensité leur offrira le prétexte idéal pour tailler dans les dépenses publiques et dans les aides aux citoyens nécessiteux. Ils vont même jusqu'à appeler de leurs vœux une envolée des frais de financement de la dette publique française dont ils se serviront comme levier pour parvenir à leurs fins...

Pourtant, le citoyen européen n'a pas voulu de cette dette, tout aussi illégitime du reste que l'austérité qui lui est imposée, cette version moderne de la lutte des classes. Très clairement, ce ne sont pas les dépenses sociales qui sont coupables d'avoir creusé nos déficits. Ce sont les sauvetages bancaires, de ces établissements financiers ayant amassé des fortunes par la grâce de la financiarisation. Elle-même destinée à anesthésier une population européenne dont les revenus étaient inversement proportionnels à la productivité de ses entreprises. Et, ce, dans un contexte où, du fait d'une redistribution déficitaire opérée par nos Etats, nous avons été encouragés au crédit qui devait nous donner l'illusion de la stabilité de notre niveau de vie.

mardi 28 mai 2013

la rente financière et foncière

La Commission européenne reproche à la Chine de ne pas favoriser la rente financière et foncière en Chine. Et ce sont justement ces rentes qui sont à l'origine de la crise économique actuelle à l'occident.

La Commission européenne reproche donc à la Chine de profiter de l'absence du marché des capitaux en Chine. Le fait de ne pas copier le système financier européen constitue une forme de dumping ...

http://www.lesechos.fr/opinions/analyses/0202776278644-les-raisons-du-bras-de-fer-commercial-bruxelles-pekin-569740.php

On croyait la Commission européenne raisonnable et un brin naïve. Et voilà que, excédée, elle a montré ses muscles. Bruxelles a surpris tout le monde ces dernières semaines en s'en prenant sans ménagement à la Chine, dont les pratiques commerciales sont désormais clairement désignées comme une forme de tricherie. Coup sur coup, en moins de quinze jours, l'Europe vient de dévoiler des mesures fortes contre des industries considérées comme stratégiques par Pékin : il y eut d'abord les importantes taxes douanières - pour l'instant provisoires - sur les importations de panneaux solaires chinois. Puis il y eut l'annonce de l'ouverture prochaine d'une procédure contre deux joyaux technologiques chinois, les équipementiers de télécoms Huawei et ZTE. A cela, on pourrait également ajouter les droits de douane entrés en vigueur mi-mai contre les céramiques venues de l'empire du milieu.
Sur un plan diplomatique et commercial, il s'agit d'une charge sans précédent de l'UE. Au point qu'elle a même arraché un compliment à Arnaud Montebourg, pourtant en conflit ouvert avec le libéral Karel De Gucht, le commissaire européenne au commerce. N'en déplaise à notre bouillant ministre, le terme de « tournant » qu'il a évoqué est toutefois un tantinet exagéré. Certes, c'est la première fois que Bruxelles engage aussi nettement un bras de fer public avec Pékin, faisant fi des menaces de rétorsions. Mais l'orage couvait depuis quelque temps déjà, au moins cinq ans.

Au début de la décennie précédente, les Européens ont d'abord été patients avec la Chine, qui venait tout juste d'entrer à l'Organisation mondiale du commerce fin 2001. Mais, au bout de quelques années, il a fallu se rendre à l'évidence : les promesses de changement des pratiques commerciales n'étaient pas forcément tenues. Les ventes à perte n'ont pas disparu. Et puis les entreprises chinoises étaient - et restent encore aujourd'hui - très proches de l'Etat ou des provinces, avec des facilités pour l'achat d'immobilier ou de foncier, des prêts bancaires préférentiels. « Il y a une culture du subventionnement en Chine. Tant que le pays n'exportait pas, ça allait, mais, désormais, c'est insupportable pour les entreprises européennes, qui sont, elles, soumises à un strict contrôle des aides d'Etat », décrypte un avocat bruxellois.

Forte de ce constat, l'Europe a alors commencé à attaquer beaucoup plus lourdement après 2007. L'historique des mesures antidumping et antisubventions imposées depuis 2001 par Bruxelles illustre parfaitement ces tensions grandissantes. Au début de la décennie précédente, l'Union européenne avait environ une trentaine d'actions de ce genre contre les entreprises chinoises, selon les chiffres recueillis par « Les Echos ». Puis c'est la dégradation, et le nombre de ces mesures tourne depuis 2008 entre 48 et 55. Une progression forte, comprise entre 40 % et 60 % selon les années.

Surtout, ce qui frappe, c'est que Pékin est désormais très clairement la principale cible des Européens. Là encore, les chiffres sont éloquents : désormais, les attaques contre la Chine représentent 43 % des mesures commerciales imposées par Bruxelles, contre moins de 20 % il y a dix ans. Presque une procédure sur deux ! Certes, il faut noter que le nombre total de procédures européennes contre ses rivaux mondiaux décroît depuis dix ans, augmentant automatiquement le poids relatif de celles visant Pékin. Tout cela est très vrai, mais ne peut éclipser une réalité plus brutale : Bruxelles ne veut plus laisser passer des pratiques jugées déloyales et va plus volontiers à l'affrontement pour obtenir gain de cause.

Les attaques lancées contre Pékin sur les panneaux solaires et les télécoms amplifient donc cette tendance. Leur retentissement s'explique aisément. Dans les deux cas, on touche à des industries d'avenir, qui incarnent aux yeux de Pékin la montée en gamme de son économie. Rien à voir avec les fabricants de vélos visés autrefois par les taxes douanières européennes. Deuxième nouveauté, l'exécutif de l'UE s'est saisi du dossier des télécoms sans que personne ne le lui demande. Dans cette affaire, les acteurs européens que sont Alcatel-Lucent, Nokia ou Ericsson ont trop peur qu'une plainte de leur part ne leur ferme les portes du marché chinois. Ce qui est valable dans les télécoms est valable pour bien d'autres secteurs.

Le coup d'éclat européen n'a pas laissé la Chine sans réaction. En quelques semaines, deux procédures antidumping ont été lancées par Pékin, contre des groupes chimiques européens et des fabricants de tubes sans soudure, notamment Vallourec. Ces mesures de rétorsion peuvent laisser craindre une escalade difficilement contrôlable, ce contre quoi a mis en garde Angela Merkel. Bruxelles est conscient de ce danger et ne veut pas se laisser embarquer dans une guerre sans limite. Son idée n'est pas d'ériger des barrières protectionnistes mais plutôt d'instaurer un rapport de force. Désormais instruit, l'exécutif européen a compris qu'il était plus facile de négocier avec Pékin quand un pistolet chargé était posé sur la table. Aussi bien dans le solaire que dans les télécoms, les actions prises sont provisoires mais suffisamment fortes pour pousser Pékin à des concessions. Ensuite, si les choses s'arrangent, il sera bien temps de reparler de développement des échanges.

jeudi 2 mai 2013

L'origine très contestée des marchés financiers


La crise financière qui a démarré en 2007 a mis en exergue le lien étroit entre la théorie économique et la pratique financière et par la même occasion le rôle fondamental de la théorie économique dans cette crise.

En effet, aussi curieux que cela puisse paraitre pour des non-économistes, le système financier tel que nous connaissons aujourd’hui a été pensé à partir des idées écrites dans les livres et autres manuels sur la théorie économique.

Concrètement, nous avons bâti, à partir de ces idées, une structure en lui attribuant des caractéristiques censées assurer son bon fonctionnement. Au fondement de cette structure (ou de ce marché) se trouve la théorie bien connue dite de "l’efficience financière". Il s’agit d’une théorie d’investissement qui soutient qu’il est impossible de "battre le marché" pour la simple raison qu’elle s’appuie sur le postulat selon lequel les titres financiers (actions, obligations, etc.) s’échangeraient toujours à leur juste valeur et donc qu’il n’existerait jamais sur le marché des titres qui soient sous ou surévalués. Le marché défini serait donc une structure proche de la perfection.

Le simple fait d’annoncer qu’un marché financier peut avoir un fonctionnement efficient suffit à créer polémiques et controverses, car il existe autant de données pour appuyer cette idée que pour l’invalider. La récente crise financière constitue une véritable preuve qui va dans le sens de la controverse. En effet, prenons l’exemple des titres adossés à des prêts hypothécaires subprimes. Leur développement a été motivé par les profits qu’ils génèrent, car les détenteurs de ces titres ont perçu en quelques années des montants faramineux de profits.

A posteriori, après l’éclatement de la crise, tout le monde s’est posé la question de savoir comment cela fut possible au vu de la mauvaise qualité des actifs et des risques qu’ils supportaient. La raison est très simple : ces titres ont simplement bénéficié de la légitimation de la théorie économique. L’opinion considèrera cela comme une provocation si nous disons que les agences de notation ne sont pas les principaux responsables comme cela a été tant étalé dans les médias.

Nous devons donc user de pédagogie pour montrer que la réalité est toute autre. La science économique est caractérisée par l’existence de plusieurs courants de pensée (les classiques, les keynésiens, les monétaristes, les libéraux et néo-libéraux, les néo-classiques pour ne citer que les grands). Le courant néo-classique est celui qui croit à l’efficience des marchés financiers. Ce courant a pris le modèle de marché objectif ou réel pour le transposer dans le domaine de la finance. Ce qui revient à considérer que les titres et les actifs sur les marchés financiers représentent les biens et services sur les marchés réels.

De cette comparaison, les partisans de cette théorie économique dominante ont simplement déduit que ces titres adossés à des prêts hypothécaires subprime étaient "bons", c'est-à-dire qu’il n’y avait pas trop de risque à les acheter. Les agences de notations ont alors suivi, appuyées sans aucun doute par le lobby de la finance. En conséquence et donc très logiquement les investisseurs se sont tournés vers ces actifs sans véritablement réfléchir sur leurs éventuels comportements, notamment en situation de stress par exemple.

La crise financière de 2007 a montré que le marché financier n’est pas efficient, car il fonctionne toujours à l’excès, à la hausse comme à la baisse. Ce comportement à forte fluctuation a d’ailleurs été le filon qui a servi au développement de certains produits financiers destinés à générer assez rapidement des profits énormes pour certains acteurs.

L’hypothèse néo-classique apparaît aussi critiquable au moins sur deux autres points :

- Premièrement, au niveau de la notion de valeur fondamentale d’un actif. La théorie néo-classique a mis en avant l’idée que chaque actif avait une valeur fondamentale et que cette valeur était objective. Ce qui sous-entend que le prix d’un actif s’identifie forcément à sa valeur. Le prix de marché d’une action serait, dans cette hypothèse, égal à la valeur de cette action. Le bon sens nous dit pourtant que ce sont là deux choses très différentes. Le problème est que dans la réalité on ne connait pas la valeur d’un actif au moment de son achat, car cette valeur est liée au profit futur que l’actif va rapporter.

Dans le cas d’une action, le profit futur est constitué par les dividendes qu’elle peut procurer. Au moment d’acheter une action, on ne sait pas quel sera son dividende futur. La valeur est donc différente du prix d’achat. Pour arriver à cette conclusion, qui nous semble d’ailleurs une hérésie, les théoriciens néo-classiques ont fait l’hypothèse qu’à un instant donné (t) on pouvait savoir ce qui va se passer dans le futur.

Contrairement à la théorie keynésienne qui va jusqu’à dire que "demain nous serons tous morts", pour montrer qu’il y a une incertitude radicale quant à savoir ce que sera le futur, l’hypothèse néo-classique considère que nous pouvons estimer les probabilités d’événements futurs. Le futur serait donc objectif au point qu’on puisse s’y projeter et dire ce qui va se passer. Sommes-nous proches de quel courant économique en suivant le bon sens ?

- Deuxièmement, au niveau des principes de fonctionnement du marché. Deux notions sont au cœur de l’idée néo-classique, l’autorégulation et l’auto-adaptation. L’autorégulation c’est le retour automatique à l’équilibre sur le marché c'est-à-dire que lorsque le prix d’un titre diminue ou augmente fortement sur le marché, il y a des contreforces qui sont là pour ramener ce prix à sa situation d’équilibre.

Les systèmes à bulle comme la bulle de l’internet au début des années 2000 et la bulle immobilière de 2008 ont montré que les marchés financiers, non seulement ne s’autorégulent pas, mais qu’ils provoquent un phénomène complètement contradictoire par rapport à l’idée selon laquelle on achète quand le prix est bas et on vend quand le prix est haut. Ce que les bulles nous ont montré c’est que lorsque les prix étaient très bas, les acteurs n’ont pas acheté, car ils anticipaient que les prix allaient continuer à baisser.

Ils ont finalement eu raison, car ceux qui ont acheté des titres dans de telles circonstances, en espérant bien sûr une montée, ont perdu beaucoup d’argent. De la même manière, lorsque les prix ont fortement augmenté les acteurs ont continué à acheter, car ils ont constaté que d’autres personnes qui ont acheté dans de telles circonstances dans le passé se sont enrichies. C’est le phénomène bien connu que nous appelons "nourrir la bulle". La crise de 2008 nous a donc montré exactement tout le contraire de ce que prétend la théorie néo-classique, car les fameuses contre-forces qui sont supposées ramener les prix à leur niveau d’équilibre en cas de fortes fluctuations sont restées inertes.

L’auto adaptation est la capacité du marché à apprendre des erreurs et à tirer les leçons du passé. Lorsqu’on étudie de près les crises financières qui se sont succédé depuis 1929, on constate facilement de très fortes ressemblances, comme l’ont montré d’ailleurs à plusieurs reprises l’écrivain Jacques Attali ou l’économiste Paul Jorion. L’idée que nous tirons les leçons du passé est ainsi mise à défaut.

Pour conclure,  on voit clairement que les marchés financiers sont le fruit de certaines croyances et qu’ils sont complètement différents des marchés réels. Les principes définis dans ces croyances ne régulent, par ailleurs, aucunement le comportement des acteurs sur le marché puisque, comme nous venons de le voir, il existe plusieurs mécanismes financiers qui mettent à défaut les principes fondamentaux mêmes qui sont à la base de la création de ces marchés.

La notion de valeur, par exemple, ne guide pas efficacement les acteurs dans leurs choix, car il y a une incertitude sur le niveau de cette valeur dans le futur. En revanche, ce qui caractérise les acteurs sur le marché, c’est ce que certains économistes comme André Orléan appellent "l’autoréférentiel", c'est-à-dire que les acteurs sont constamment en train d’anticiper ce que les autres vont faire. C’est ce qui les guide. De cette relation stratégique entre acteurs, nous pouvons dire qu’il n’y a que deux manières de gagner de l’argent sur les marchés en tant qu’investisseur :

- D’abord lorsqu’on ne sait pas ce que les autres vont faire, mais qu’on arrive à anticiper ce que l’opinion du marché va penser de l’évolution du marché. Ramener aux actifs, cela revient à anticiper ce que l’opinion du marché va penser que la vraie valeur d’un actif va être.

- Ensuite, pour gagner de l’argent il faut avoir en tête que le but n’est pas de chercher à avoir raison contre tout le monde sur le marché, mais de se tromper avec tout le monde et puis être très réactif avant que les gens ne changent d’avis.

Donc, avoir raison sur tout le monde avant que les autres ne vous rejoignent. Telles sont les règles qui régissent un marché et non des idées préconçues de la théorie économique.