mardi 4 octobre 2011

L'innovation et la croissance

La théorie classique d'Adam Smith apporte une première analyse macroéconomique de l'économie du marché. Elle explique que la croissance provient de la division du travail qui permet un accroissement de la productivité grâce au progrès technique. Cette idée de base est développée par Young dans sa théorie du changement technologique endogène.

La théorie classique de la croissance décrite par Ricardo explique des limites de la croissance par la rareté des ressources naturelles, notamment de la terre. À long  terme la terre devient de plus en plus rare et on doit mettre en culture des terres de moins en moins fertiles. Ce qui provoque des conséquences négatives comme la hausse des des prix des produits agricoles et la hausse de la rente foncière qui lamine des profits.

Ricardo a donc décrit le rôle négatif de la rente sur la croissance économique. Nous pouvons distinguer deux types de capital : le capital qui peut être obtenu exclusivement par le travail, que nous appellerons le capital productif, et le capital sous forme des droits divers qui produit une rente, que nous appellerons le capital improductif. Ce n'est que le capital productif qui produit la valeur, le capital improductif n'en produit pas directement mais il se fait rémunérer par le capital productif en lui imposant un paiement d'une rente.

Ricardo et Malthus se sont concentrés sur l'analyse de deux types de capital improductif : les matières premières et le foncier. Ils ont constaté que si la valeur globale des capitaux improductifs devient trop importante par rapport à la valeur des capitaux productifs à cause de la rareté des ressources naturelles, le rendement du capital productif peut trop baisser et empêcher un développement économique.

Ces deux courants de la théorie classique décrivent deux phénomènes différents présents dans l'économie en même temps : celui des économies d'échelle et de la coopération d'une part et celui de la rareté des ressources de l'autre part.

La théorie classique de Ricardo modélise une évolution du niveau de la rente dans l'économie et les conséquences de cette évolution. Nous ne reprenons pas  sa modélisation de l'évolution de la rente mais uniquement le reste de son raisonnement concernant les conséquences de la rente. Nous considérons que le niveau de la rente n'est pas facilement prévisible, car il dépend fortement des décisions politiques et de l'organisation de la société. L'action politique peut ainsi jouer un rôle aussi important que l'effet de la rareté des ressources naturelles dans notre raisonnement.

Nous allons appliquer cette idée de base dans notre analyse économique en tenant compte de toutes les formes des capitaux improductifs, même de celles qui ne sont pas liées à des matières premières ou au foncier. En effet, nous allons considérer que tous les capitaux qui prennent la forme de droits sont des capitaux improductifs. Il y a donc des capitaux improductifs liés à la rareté des ressources naturelles mais aussi des capitaux improductifs liés à des droits créés et émis par les acteurs économiques. Il s'agit entre autres de la monnaie fiduciaire, de la dette, de certaines forme de propriété intellectuelle, des engagements de la politique sociale, des droits d'exercer une activité etc.

L'ensemble de ces capitaux improductifs ne produisent directement aucune valeur et ils doivent puiser leur rémunération en ponctionnant le capital productif. Si la quantité de capital improductif augmente trop rapidement par rapport à la quantité globale de capital productif, le rendement global du capital doit nécessairement diminuer. Cette baisse du rendement diminue la capacité de l'investissement du capital productif et donc affecte négativement la croissance.

Les taux d'intérêt sont une fonction de la liquidité de la dette. Plus la dette est liquide plus les taux d'intérêt ( courts et longs ) sont bas. Le taux d'intérêt correspond aussi au rendement global du capital. Le rendement global du capital et la liquidité sont donc liés, une liquidité croissante correspond à une pénurie de projets d'investissement à long terme rentables. On peut donc dire que l'état stationnaire décrit par Ricardo se manifeste par une grande liquidité des capitaux, un rendement global du capital très bas et par une tendance à rechercher des profits à court terme.

Cette baisse du rendement global du capital a aussi des effets négatifs sur l'innovation. La plupart des théories économiques récentes affirment que l'innovation est un moteur important, voire le moteur principal de la croissance. Or, le capital investi dans le processus de l'innovation subit la même baisse de rendement que l'ensemble des capitaux dans l'économie. C'est donc le processus de l'innovation lui-même qui est directement affecté de manière négative, de même que la croissance que cette innovation doit pourtant stimuler.

Nous compléterons notre raisonnement en ayant recours aux idées d'Adam Smith. En effet, nous expliquons son concept de "la croissance par une meilleure utilisation du travail", par la réutilisation du même travail par plusieurs acteurs économiques. Ce mécanisme peut avoir deux formes de base. La première correspond à une réutilisation en échange d'une rente liée à des concepts proches de ceux de la propriété intellectuelle ou par la création de monopoles via les processus de l'accumulation du capital. La deuxième forme correspond à une diffusion de l'innovation, sans création d'une nouvelle rente par la simple transmission du savoir-faire.

Nous pouvons ainsi échapper à la malédiction des limites imposées par la baisse du rendement global des capitaux décrite plus haut. Il y a d'abord la possibilité de croître grâce à l'élargissement des marchés et  aux économies d'échelle qui en résultent.  Cette voie vers la croissance est efficace mais limitée dans le temps et dans l'espace et surtout elle se termine par l'apparition de monopoles qui auront finalement un effet négatif sur la croissance économique. La croissance est ainsi encore bloquée par des nouvelles rentes : les nouvelles rentes associées aux monopoles créés.

Cette voie du développement n'est heureusement pas la seule possible vers la croissance. Il existe aussi le chemin de la coopération qui n'est pas basée sur les mécanismes de la rente et qui permet une rentabilisation de l'innovation par son usage en masse. Cette large diffusion de l'innovation peut conduire à un gain de rentabilité global substantiel dans son utilisation, ce qui permet d'éviter les conséquences négatives inhérantes au rendement décroissant du processus de l'innovation.

Nous pouvons être tentés de conclure que les échanges marchands conduisent à une stagnation dû au phénomène de la rente et que la croissance et le progrès ne proviennent que des échanges non-marchands. Néanmoins il serait imprudent d'en déduire que les échanges marchands sont nuisibles et qu'il faut les remplacer par des échanges exclusivement non-marchands ou même tout simplement les empêcher. Il est plus raisonnable de penser que les deux types d'échange peuvent coexister en harmonie dans le même système économique.

Prenons l'exemple de la concurrence. À première vue il s'agit d'un phénomène propre aux échanges marchands mais ce n'est vraiment qu'une apparence. En réalité,  un concurrent  bénéficiant d'un savoir-faire supérieur à celui des autres concurrents est rapidement copié par les autres sans aucun versement de rente en contrepartie. C'est donc un mécanisme lié à un échange non-marchand, celui de la diffusion libre du savoir, qui est à l'origine des effets bénéfiques de la concurrence sur l'économie. D'un autre côté la concurrence n'apporte pas de bénéfices à l'économie si les concurrents ne peuvent pas utiliser les mêmes procédés que le concurrent dominant car l'avantage de ce dernier se transformera rapidement en une rente de situation.

Paul Krugman a décrit ce phénomène de la concurrence dans son analyse de l'impact des économies d'échelle dans le commerce international. Il a travaillé sur l'idée des rendements croissants qu'il a intégrée dans sa théorie des échanges internationaux. Il remarque pour sa part que l'essentiel du commerce international n'est pas nord-sud avec des termes inégaux mais bien nord-nord et que les biens échangés sont très similaires : la Suède exporte ses Volvos vers l'Allemagne qui lui vend des BMW. Paul Krugman donne une explication de nature micro économique à ce phénomène, celui de la préférence de la diversité du choix de la part des consommateurs. Notre raisonnement nous permet de donner une explication macro économique du même phénomène, celui de la réduction du capital improductif par un échange non-marchand.

Il existe donc un lien direct entre les concept d'Adam Smith et de Ricardo via les modalités de la diffusion du savoir-faire que l'on peut considérer comme des conditions exogènes à notre modèle. Nous pouvons donc conclure que l'action politique et le cadre réglementaire jouent un rôle décisif dans la détermination des capacités de la croissance économique d'un pays.



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