vendredi 23 septembre 2011

La crise de la zone euro du point de vue monétaire

La zone euro est entrée dans une crise durable et il semble que personne ne voit aucune solution à la crise actuelle. C'est pourquoi j'ai essayé de faire une analyse de la situation de la zone euro du point de vue monétaire.

Je commence par une analyse de la crise économique qui concerne les pays occidentaux autres que ceux de la zone euro, la zone euro a des problèmes supplémentaires et son fonctionnement est plus compliqué à cause de la monnaie commune. Après je vais adapter cette analyse générale à un système monétaire avec une monnaie commune.

Il faut d'abord comprendre qu'est-ce que la monnaie. Dans nos économies actuelles la monnaie est une créance payable à vue envers une banque centrale qui émet la monnaie. Et parce qu'une banque centrale est une propriété d'un état on peut dire aussi que la monnaie est une créance payable à vue envers un état via sa banque centrale. Mais c'est l'ensemble des créances envers l'état, même celles qui sont payables à terme qu'il faut inclure dans la masse monétaire. C'est un point important dans mon analyse qui n'est pas partagé par certains économistes qui distinguent la dette publique et la monnaie du même état.

En réalité la monnaie émise par une banque centrale n'est pas payable à vue car elle n'est pas convertible en or ou en autres actifs détenus par la banque centrale. Au contraire, la monnaie d'une banque centrale est une dette à l'échéance infinie, jamais remboursée. Et la même chose est valable pour les dettes de l'état payables à terme car ces dettes ne sont payables que par une monnaie de la banque centrale, donc par des créances qui ne seront jamais honorées. Il n'y a donc aucune raison fondamentale de distinguer la monnaie d'une banque centrale et la dette d'un état dans la monnaie de sa banque centrale qu'il possède et contrôle. Il n'y a que la facilité de circulation des formes différentes de ces créances de l'état qui n'est pas la même et qui détermine la valeur relative des formes différentes de ces dettes publiques.

La majorité des économistes n'incluent pas l'ensemble des dettes libellées dans la même devise dans la masse monétaire. Ils excluent surtout des dettes avec une échéance dépassant 2 ans. Mais l'échéance de la dette ne change pas fondamentalement la nature de cette dette, c'est pourquoi il n'y a aucune raison d'exclure la dette à plus long terme de la masse monétaire utilisée dans des formules de la théorie quantitative de la monnaie. Il n'y a que la vitesse de circulation de ces capitaux qui est affectée par l'échéance lointaine et leur valeur devient aussi variable dans le temps surtout à cause des évolutions des taux d'intérêt mais pas seulement. C'est aussi à cause de cette variabilité de la valeur des dettes à terme que le montant global de la masse monétaire peut augmenter ou baisser d'une manière rapide.

Depuis la fin des années 70 l'ensemble des pays occidentaux ont adopté une doctrine de la stabilité monétaire sous forme d'une parité de la monnaie avec la valeur de la corbeille de la ménagère. La plupart des économistes considèrent que cette doctrine est la seule bonne et je vais essayer de démontrer qu'ils ont tort.

Les états sont en déficit depuis les années 70 parce qu'ils vivent au dessus de leurs moyens à cause de leur volonté de garantir le respect de tous leurs engagements pris en valeur réelle et du niveau de vie de leurs populations, indépendamment de leur productivité réelle.

Pour assurer le financement de leur déficit les états ne peuvent plus le financer directement auprès de leur banque centrale car ce type de financement provoquerait une augmentation de la masse monétaire sans baisse de la vitesse de sa circulation. Comme la théorie quantitative de la monnaie  nous enseigne ce type de déficit provoque directement une hausse du PIB nominal donc aussi probablement une hausse des prix. Et cette hausse des prix est devenue incompatible avec la nouvelle doctrine de la "stabilité monétaire" des banques centrales. L'état est donc obligé de financer son déficit avec une masse monétaire dont il limite la vitesse de circulation : c'est la dette publique qui permet de neutraliser en partie cette masse monétaire en rendant sa circulation plus difficile. Cette stratégie a un coût pour l'état, il doit payer le service de la dette en échange de cette neutralisation.

Depuis la fin des années 70 les pouvoirs publics mènent ainsi une politique monétaire restrictive qui cherche à neutraliser une partie de plus en plus importante de la masse monétaire afin de garantir la parité de la monnaie avec le prix de la corbeille de la ménagère.

Maintenant regardons le fonctionnement du système financier. Il a pour but de créer la masse monétaire ou rendre la masse monétaire plus accessible donc d'augmenter la vitesse de circulation de cette masse monétaire. Les objectifs mêmes du système financier privé sont contraires à la politique monétaire des pouvoirs publics. Le système financier actuel défait donc ce que les pouvoirs publics cherchent à mettre en place en se faisant payer pour ce service ! Le service financier est donc comme une entreprise de défiscalisation qui ne gagne de l'argent qu'en démontant la politique fiscale d'un état. Heureusement le système financier est assez performant et il arrive à contrer la politique monétaire publique d'une manière assez efficace et limiter ainsi des dégâts que cette politique provoque sur l'économie.

Il n'empêche qu'il s'agit d'un vrai gâchis. Les états créent ainsi une dette qui devient de plus en plus importante par rapport à la production de l'économie réelle. Et parce que la seule source de la rémunération du capital provient de cette économie réelle, le rendement moyen du capital baisse. Pourquoi ? Parce que le montant global du capital est de plus en plus important par rapport aux bénéfices de l'économie réelle qui reviennent au capital dans le PIB. On peut dire qu'il y a de plus en plus de capital improductif conformément à la loi des rendements décroissants.

Le problème de la baisse de la rentabilité globale du capital a des conséquences négatives sur l'économie réelle. Les entreprises gagnent de moins en moins de l'argent, elles investissent peu et elles délocalisent dans les pays qui proposent un rendement du capital supérieur grâce à une autre politique monétaire. On subit aussi une hausse brutale du prix de l'immobilier, le montant des loyers ne baisse pas et donc l'évolution des prix de l'immobilier est inversement proportionnelle à la baisse du rendement global des capitaux. Plus les taux d'intérêt longs baissent plus le prix de l'immobilier monte.

Malheureusement le système financier mondial a perdu une partie de sa capacité de fonctionner et d'annuler les effets des politiques restrictives des banques centrales occidentales. Les effets néfastes de cette politique monétaire peuvent donc se manifester aujourd'hui pleinement par une crise financière globale  la plus profonde depuis 1930. Et vu sa faiblesse actuelle il n'y a plus d'espoir que le système financier arrive à nous faire sortir de cette crise en neutralisant les effets de la politique monétaire publique.

Si on analyse bien les propositions de la plupart des économistes on remarquera qu'elles sont basées sur un principe : celui du respect inconditionnel des engagements pris. Ce principe est au cœur de la morale protestante qui a permis le développement économique de l'occident et la suprématie de son économie dans le monde. Il n'empêche que la doctrine de Jean Calvin ne marche pas au niveau macroéconomique car elle ne respecte pas l'équilibre global entre la rentabilité financière et les résultats des projets concrets associés aux financements.

L'ancienne tradition chrétienne qui a été intégrée dans la théologie de Saint Thomas d'Aquin qui s'appuyait sur les enseignements d'Aristote selon lequel l'argent ne peut pas produire d'enfants interdisait cette pratique. Le prélèvement d'intérêts est caractérisé comme un moyen injuste, déshonorant et contre nature d'accaparer le bien d'autrui. Mais depuis la Réforme protestante, par la voix de Jean Calvin en particulier, l'interdit du prêt à intérêt a été aboli progressivement dans les pays européens et occidentaux. Mais ce principe n'a pas été adopté d'une manière universelle. La finance islamique est basée sur des principes différents, celui de l'interdiction de l'intérêt et de la responsabilité sociale de l'investissement ce qui lie étroitement la rentabilité d'un investissement avec les résultats du projet concret associé.

Ce n'est donc pas l'immoralité ou l'amoralité du capitalisme qui constitue un problème mais le choix des règles morales qui sont à la base des politiques monétaires actuelles. On pourrait bien argumenter sur le plan moral qu'une exigence d'un respect strict et inconditionnel de tous les engagements pris sans lien avec la rentabilité de l'ensemble de l'économie correspond à un moyen injuste, déshonorant et contre nature d'accaparer le bien d'autrui. En remplaçant la règle morale actuelle de Jean Calvin par une règle morale de la responsabilité sociale dans la gestion monétaire on pourra faire disparaître des déséquilibres monétaires actuels au niveau macroéconomique et reprendre le chemin de la prospérité et de la croissance.

Les premières crises provoquées par le respect dogmatique de la doctrine protestante ont commencé au 19ème siècle avec des crises cycliques décrites par Marx qui a essayé de trouver leur explication sans y parvenir vraiment. La dernière crise cyclique des années 30 a forcé les pouvoirs publics d'abandonner l'engagement de l'état de garantir la convertibilité de sa monnaie en or d'une manière inconditionnelle.

L'abandon de cet engagement a permis de laisser prospérer les économies occidentales jusqu'au choc pétrolier des années 70. En effet un autre engagement implicite s'est installé dans les économies occidentales, celui de la garantie du niveau de vie réel de leurs habitants. Après le choc pétrolier ce nouvel engagement impossible à tenir a provoqué un nouveau cercle infernal des crises que nous subissons jusqu'aujourd'hui.

Les états ont essayé de tenir cet engagement intenable d'abord par une indexation des salaires sur les prix. Mais cette politique a provoqué une inflation importante dans les années 70 et jusqu'aux premiers années sous François Mitterrand. Les économistes ont donc trouvé une autre voie comment essayer de tenir cet engagement sans inflation et ils ont inventé le système actuel de la politique monétaire restrictive provoquant une accumulation catastrophique des dettes publiques.

À propos, on prédit des crises économiques en Chine depuis 20 ans et elles n'arrivent toujours pas. L'explication est simple : l'état chinois ne suit pas les doctrines de Jean Calvin. L'état chinois ne cherche pas à respecter ses engagements quand un respect stricte de ses engagements est contraire à l'intérêt général. Les crises que nous connaissons en occident sont donc impossibles dans une société ultra pragmatique où tout engagement ou toute règle peuvent être remises en cause.

Après mon analyse de la politique monétaire restrictive en général je vais essayer de l'appliquer à la zone euro, un système avec une monnaie commune.

La Banque centrale européenne mène une politique monétaire la plus restrictive de toutes les banques centrales et cette politique est inscrite dans les traités. Les états de la zone euro doivent donc pratiquer la même politique budgétaire que les autres pays occidentaux avec une politique monétaire restrictive en accumulant la dette publique.

Malheureusement le lien direct entre la dette publique et la banque centrale a été rompu, la dette des états de la zone euro n'est plus libellée en leur propre monnaie mais dans une monnaie commune. Cette dette ne bénéficie donc plus de la garantie implicite ou explicite d'une banque centrale qui garantirait son remboursement en tant que prêteur de dernier ressort. L'absence de cette garantie constitue un risque pour les prêteurs et elle provoque des coûts supplémentaires pour l'ensemble des pays de la zone y compris l'Allemagne.

Mais ce n'est pas le seul problème de la zone euro. Les états membres n'y sont pas entrés avec le même niveau de l'endettement public, ils ne sont pas au même niveau dans le cycle d'accumulation de la dette. Par exemple l'Italie et la Grèce ont été en avance par rapport à la plupart des autres pays et cette avance dans l'endettement a provoqué une récession dans ces deux pays, la zone euro ne permet pas de gérer le mécanisme de l'endettement des états trop disparate. C'est ainsi que l'Italie et la Grèce se voient prélever le coût du financement de leurs dettes au profit de l'Allemagne et de la France et cela depuis 10 ans.

Les dettes publiques de la zone euro souffrent aussi des incertitudes politiques, du risque de l'éclatement de la zone euro et de la conversion forcée de ces dettes en monnaies nationales. L'Allemagne profite de ce risque car on suppose que la nouvelle monnaie allemande sera plus forte que l'euro actuel. Mais ce risque politique a un coût prohibitif pour les pays du Sud.

Tout cela a une conséquence très négative : les dettes publiques sont en concurrence entre elles. C'est la dette allemande qui profite de cette concurrence et qui voit le coût de son maintien subventionné surtout par les pays du Sud, par la Grèce, l'Italie, le Portugal et l'Espagne.
Si on veut sauver la zone euro il y plusieurs mesures à prendre :
  1. il faut maintenir un niveau similaire de l'endettement des pays de la zone et corriger des erreurs commises durant l'entrée des pays dans la zone avec une dette excessive initiale en monétisant une partie de cette dette excessive 
  2. il faut introduire une garantie explicite ou implicite de la Banque centrale européenne des dettes publiques.

Ces deux mesures permettront de sauver la zone euro mais ils ne résoudront pas les problèmes généraux liés à la politique restrictive de la Banque centrale européenne, ceux qui sont subis par l'ensemble des pays occidentaux. Il faudrait aussi abandonner cette politique restrictive.

Le système actuel de la zone euro provoque encore d'autres effets pervers. La libre circulation de tous les capitaux permet des transferts des capitaux des pays avec une faible rentabilité vers les pays offrant une meilleure rentabilité des capitaux. S'il s'agissait seulement des capitaux investis dans la production ce flux des capitaux serait bénéfique au pays qui le reçoit. Malheureusement ce sont surtout des capitaux improductifs investis dans la dette et dans le foncier qui ont été transférés. Les pays exportateurs des capitaux, surtout l'Allemagne, ont amélioré leur rapport entre les capitaux productifs et improductifs et les pays importateurs ont subi une dégradation de ce rapport. Le rendement des capitaux des pays exportateurs s'est ainsi amélioré et le rendement des capitaux des pays importateurs s'est détérioré. C'est donc l'ensemble du développement économique des pays du Sud de la zone euro qui a été ralenti par l'existence de la zone euro.

C'est donc aussi une baisse globale du rapport entre le montant des capitaux improductifs et productifs qu'il faut faire baisser si l'on veut sauver la zone euro. Et ce n'est possible qu'en adoptant une politique monétaire non restrictive.

Je dois ajouter que toutes ces mesures sont interdites par les traités européens actuels.

Vous pouvez remarquer que la politique monétaire chinoise actuelle correspond au raisonnement que j'ai présenté dans mon article.

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