lundi 26 septembre 2011

La politique économique et la morale

La politique économique est un système des règles conventionnelles ou  un ensemble de mesures destiné à répondre aux attentes de la société. Elle est politique mais aussi intellectuelle, pas seuls ses résultats doivent correspondre aux attentes de la société mais aussi sa mise en œuvre et les moyens employés.

La règle d’or en contraignant la dépense publique de manière constitutionnelle nous fait abandonner sans discussion un bien public celui de la possibilité de modifier la politique économique en fonction de ses résultats. Ce choix s’inscrit dans une dynamique à l’œuvre en Europe depuis presque vingt ans. Les théories économiques ont donné leur légitimation intellectuelle à cette orientation en montrant que l’État non seulement ne savait pas faire, mais n’avait pas le souci de l’intérêt général. Les politiques économiques répondraient à des objectifs moraux et pour ce faire utiliseraient à des fins critiquables l’outil budgétaire et monétaire. La fortune de ces courants a trouvé une traduction institutionnelle d’une part dans l’indépendance des banques centrales dont l'objectif principal devenait la règle morale de la stabilité des prix . La règle d'or au niveau national est le continuum de cette aversion pour la rationalité. Une préférence désastreuse -économiquement et démocratiquement- pour la « règle » au détriment de la  « réflexion ».

Démocratiquement, elle renforce le sentiment, voire la conviction, que les peuples sont abandonnés à leur sort, coincés entre des marchés financiers anonymes, suivants aveuglement des règles fixées par les pouvoirs publics et aux intentions peu compréhensibles et une Europe « brouillonne », peu rationnelle et terriblement moralisateur. Mais peut-être l’efficacité économique serait le prix à payer pour ce renoncement de la réflexion ? On pourrait penser que présenter un budget en équilibre est un bien public pour les générations présentes et futures tout comme la stabilité des prix nous l’avait été présenté au moment de la naissance de la BCE. Mais c’est là que l’atteinte à la rationalité se double d’une critique de nature économique. Prenons le cas significatif du pacte de stabilité, ce pacte devait être un pacte de bonne discipline pour éviter un laxisme budgétaire qui se ferait au détriment des autres. Il a entraîné un vaste concours de maquillage comptable, remporté par les « héllènes ». Tandis que les plus puissants de la zone comme l’Allemagne ou la France ont su en leur temps, en fonction de leurs résultats, obtenir révision de ce dernier.

Mais c’est surtout l’échec de la logique contenue dans la règle qu’elle révèle. En somme il fallait contraindre la politique monétaire par l’indépendance des BCE et contraindre l’outil budgétaire par le le Pacte de Stabilité et de Croissance afin de dessiner un cadre macroéconomique stable rassurant pour les investisseurs institutionnels et favorable aux réformes de structure : flexibilisation du marché du travail, réforme de la protection sociale, libéralisation, mise en concurrence des anciens services publics. Cet enchaînement vertueux ne s’est pas produit. Mais la crise qui a redonné brièvement la place aux politiques discrétionnaires aussi peu rationnelles que les règles précédentes à travers des plans de relance a laissé place à nouveau à cette obsession de la règle et au renforcement de la doctrine. L’austérité devient la règle de fait. Force est de constater que lorsque la réalité donne tort à l’idéologie c’est la réalité qui a tort.

Aujourd’hui nous risquons alors avec ces règles d’or de renforcer ce jeu mettant aux prises marchés financiers et nations. Lors du débat du collectif budgétaire, les marchés financiers s’inviteront et procéderont aux arbitrages en fonction de l'irrationalité des choix politiques. Ils brandiront ces instruments qui fascinent parce qu’ils contiennent la puissance de l’inconnu : les fameux spread et CDS (Crédit Default Swap). Et ils mettront à genoux tout état qui pratique une politique économique irréaliste. Une plus grande austérité sera au rendez-vous car les objectifs de réduction de déficit seront inatteignables. La croissance sera perdante, les marchés s'écrouleront, les inégalités poursuivront leur recrudescence et la cohésion sociale un peu plus effritée.

Sous la pseudo-modernité des termes Pacte de Stabilité et de Croissance, règle d’or,  se cache en réalité de vieux principes de la morale protestante. Certes il ne s’agit pas de célébrer la dépense pour elle-même ou de s’épargner une critique de l’Etat et de ses interventions ou bien encore de diaboliser les marchés financiers ou l’appétit du lucre mais de dire  qu’une reconstruction de la rationalité et de la réflexion est l’une des taches majeures des prochaines décennies ; les sorties de crise sont filles de la raison et non du fragile pseudo savoir de la morale. La règle d’or participe de la déconstruction de ces procédures plus que de leur reconstruction.

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